L'Epopée de Gilgamesh : Mort d'Enkidu
Suite aux épisodes de la forêt des Cèdres et du Taureau Céleste, Enkidu fut assailli par des rêves de mauvais augure qui troublèrent sa joie et sa fierté d'avoir accompli des exploits auprès de son ami Gilgamesh. Une nuit, il se vit transporté dans le royaume des dieux et assista à une délibération dont il comprit que Gilgamesh et lui étaient les sujets. Enlil réclamait leur mort immédiate mais Shamash défendait le roi, par égard pour sa mère Ninsun, qui le priait tous les jours. Il expliquait qu'il était intervenu dans le seul but de protéger le fils de sa prêtresse mais qu'il ne cautionnait pas l'exécution du démon protecteur de la forêt des Cèdres. Après de houleux échanges, les dieux parvinrent à un accord. Seul Enkidu allait mourir pour venger la mort de Humbaba et du Taureau, et le roi allait être épargné.
Enkidu s'éveilla paniqué. Il courut trouver Gilgamesh et lui raconta la scène à laquelle il venait d'assister. Ensemble, ils prièrent Enlil, qui ne leur répondit pas, puis allèrent trouver Shamash pour le supplier d'intervenir encore. Devant lui, Enkidu maudit ceux qui l'avait extrait de sa vie sauvage, et particulièrement la courtisane. Mais Shamash le gronda. Il le trouvait ingrat envers cette femme qui l'avait vêtu, nourri, abreuvé, et qui lui avait trouvé un compagnon tel que Gilgamesh, devenu son meilleur ami. Enkidu fut touché et retira sa malédiction. Cependant, Shamash lui expliqua qu'il ne pouvait rien faire pour empêcher sa mort, Enlil escomptant bien être vengé d'une manière ou d'une autre. Les deux compagnons s'en retournèrent bredouilles et le lendemain, une douleur terrible saisit Enkidu aux entrailles. La maladie envahit son corps, le rongeant de l'intérieur. Il fut contraint de s'aliter et plusieurs jours durant, il lutta contre la fièvre qui le gagnait. A l'approche de la mort, il aperçut devant lui les Enfers et les décrivit à Gilgamesh qui restait à son chevet. Le roi fut tétanisé par cette image que son ami lui dépeignait. Et le douzième jour de son agonie, Enkidu mourut dans les bras de son ami. Gilgamesh, éploré, refusa de lâcher le corps et pendant six jours et six nuits, pleura en le serrant contre lui. Il fit vœu de se laisser pousser les poils et la barbe, tel l'homme sauvage qu'avait été son ami, et de quitter ses belles parures pour ne plus revêtir qu'une peau de lion.
Quand il dût finalement lâcher le corps sans vie d'Enkidu, Gilgamesh fut saisi par une effroyable peur : un jour, ce serait à son tour de mourir dans la souffrance pour rejoindre les Enfers. La vie de légende ne lui suffisait plus, il fallait qu'il acquiert une véritable vie éternelle. Terrifié, à bout de nerfs, il rassembla un petit bagage et s'enfuit de la ville, bien décidé à se rendre sur l'île des Bienheureux où, disait-on, vivait Outnapishtim - à vos souhaits -, le héros du Déluge. Des centaines d'années plus tôt, lorsque les dieux avaient déchaîné les flots pour détruire l'humanité et recommencer la création, Outnapishtim, prévenu par Enki, avait construit une arche gigantesque dans laquelle il avait fait entrer des spécimen de toutes les espèces d'animaux présentes sur Terre. Le carnage avait été total, et seuls ceux qui étaient montés dans le bateau avaient survécu. Au bout de six jours, Outnapishtim avait envoyé une colombe à la recherche d'une parcelle de terre sèche, mais l'oiseau était revenu bredouille. Plus tard, il avait envoyé un corbeau. Et celui-ci n'était jamais retourné sur l'arche ; c'était la décrue. Lentement, l'eau s'était retirée, et les dieux, admiratifs du courage d'Outnapishtim et légèrement penauds, avaient confié à ce héros l'immortalité. Tout ceci ne vous rappellerait-il pas quelque chose ? Hé oui, dans la mythologie mésopotamienne, l'arche de Noé existe déjà ! Tout est identique, à l'exception du prénom du sauveur de vies.
A force de marcher, Gilgamesh atteignit les Monts Jumeaux, porte d'entrée et de sortie du Soleil. En effet, les croyances voulaient que le Soleil se couche sous terre durant la nuit et ressorte chaque jour par un tunnel, présent entre ces deux montagnes. L'ennui, c'est que les Monts Jumeaux étaient gardés par un couple d'Homme-scorpions, un mâle et une femelle. A leur vue, Gilgamesh se sentit pâlir et dissimula son visage avec ses mains. Il se ressaisit vite cependant et, afin de se sauver, s'inclina devant eux. Le couple le regarda et s'aperçut qu'il était composé aux deux tiers comme un dieu... Il décida donc de ne pas l'attaquer et lui demanda plutôt où il se rendait. Quand Gilgamesh leur eut expliqué ce qu'il avait l'intention de faire, les deux Homme-scorpions le prévinrent des dangers d'un tel périple mais lui ouvrirent la porte du tunnel du Soleil, en lui expliquant qu'il avait onze heures devant lui, avant que l'astre ne vienne se coucher et ne le brûle.
Dans une obscurité totale, le roi marcha en ligne droite, d'un pas rapide. Au bout d'une dizaine d'heures qui lui parurent interminables, il ressortit enfin, de l'autre côté du monde. Là, il découvrit un jardin magnifique. Des arbres, à la place des fruits, pendaient des pierres précieuses de toutes les couleurs et la mer s'étendait à perte de vue. Au bord du rivage, Gilgamesh tomba sur Siduri, la cabaretière des dieux - parce que les dieux ont aussi le droit de s'amuser. Elle prit peur en le voyant emmitouflé dans une peau de lion. Elle s'enferma dans sa taverne mais Gilgamesh menaça de défoncer la porte si elle n'ouvrait pas tout de suite. Il lui cria qu'il était le célèbre Gilgamesh, le roi d'Uruk, le tueur du démon Humbaba et du Taureau Céleste, et qu'il cherchait l'île des Bienheureux. Siduri douta de sa parole, n'imaginant pas qu'un roi se promène dans un tel accoutrement, et lui répondit à travers le bois de la porte qu'il n'avait aucune chance de trouver le chemin :
"Gilgamesh, où donc cours-tu ? La vie que tu poursuis, tu ne la trouveras pas. Quand les dieux ont créé l’humanité, c’est la mort qu’ils ont réservée aux hommes. La vie ils l’ont retenue pour eux entre leurs mains. Toi Gilgamesh, que ton ventre soit repu, Jour et nuit réjouis-toi, Chaque jour fais la fête, Jour et nuit danse et joue de la musique ; Que tes vêtements soient immaculés ; La tête bien lavée, baigne-toi à grande eau ; Contemple le petit qui te tient par la main, Que la bien-aimée se réjouisse en ton sein ! Cela, c’est l’occupation des hommes."
Gilgamesh s'énerva, ne pouvant entendre de telles paroles tant il avait peur de mourir, et Siduri finit par lui expliquer qu'il était encore loin d'être arrivé. Elle lui indiqua la suite du trajet, tout en répétant qu'il se donnait du mal pour rien. Gilgamesh récupéra son petit sac et poursuivit son chemin.
/Spawy
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